J’ai choisi ce titre volontiers provocateur sous la plume d’une graphopédagogue afin de vous présenter tout l’intérêt qu’il peut y avoir à proposer en classe cette activité créative toute simple mais aux grands effets.
J’ai découvert l’écriture illisible grâce à Anne-Marie Jobin, la créatrice de la méthode du Journal Créatif®. J’adore l’utiliser à titre personnel car elle me permet de me défouler en écrivant sans craindre d’être lue par de petits curieux 😉 J’ai pensé que cette façon d’écrire pouvait tout à fait être proposée à des élèves à partir du CE2.
L’écriture illisible, c’est quoi? C’est une technique de journal créatif très simple à proposer aux élèves avec peu de matériel. Elle consiste à écrire de façon illisible sur un sujet afin de ne pas pouvoir être lu par d’autres mais également de ne pas pouvoir se relire soi-même.
L’écriture illisible, quel intérêt? Lorsqu’on écrit de façon illisible, quelque chose se passe en nous, une énergie se libère et nous permet de nous exprimer librement, sans censure: parce qu’on sait que personne ne pourra relire ce qu’on vient d’écrire alors on peut tout écrire, ce qu’on a sur le cœur, nos peines, nos colères, nos joies, personne n’aura à en souffrir puisque personne ne pourra nous relire. Et puis, si moi-même je ne peux me relire, alors je me sens d’autant plus libre d’écrire sans honte certaines choses, une porte s’ouvre et libère les mots. L’effet pour les élèves est vraiment intéressant en début ou en fin de journée afin d’évacuer certaines tensions et de libérer de l’espace pour apprendre ou pour boucler la journée d’école et partir plus léger.
Pour les élèves qui ont du mal à écrire lisiblement au quotidien, ceux pour qui « écrire bien » demeure une tache énergivore et souvent insurmontable, proposer cette activité d’écriture illisible dédramatise l’acte d’écrire et peut lui conférer une plus-value plaisir. Le but de l’activité est de se décharger par l’écriture, sans contrainte de lisibilité, syntaxique et orthographique, la seule règle étant l’illisibilité, un comble à l’école! Cette contrainte inhabituelle provoque alors un changement de point de vue de la part des élèves: je peux écrire comme je veux, ce que je veux et de telle sorte que personne ne puisse me relire (même pas moi!). Ce petit exercice tout simple offre une occasion de s’emparer d’une page blanche et d’en faire un espace de liberté illimité, de faire rimer ainsi écrire avec plaisir.
L’écriture illisible, comment faire? Anne-Marie Jobin distingue plusieurs types d’écriture illisible dans cette capsule vidéo:
- L’écriture illisible: j’écris une phrase et j’écris la deuxième par-dessus la première, la quatrième sera par-dessus la troisième, la sixième par-dessus la cinquième etc.
- L’écriture tricotée: j’écris une phrase et j’écris la deuxième en chevauchant la première, je poursuis ainsi.
- L’écriture négligée: j’écris avec la main toute molle, en gros, en tenant mal mon crayon, sans précision, en relâchant mon geste.
- L’écriture éclatée: je peux combiner écriture négligée (main molle, geste imprécis) et écriture dans tous les sens (j’utilise la page entière pour éclater les phrases, les expressions).
- L’écriture diluée: j’utilise l’écriture illisible avec des crayons aquarellables ainsi ce que j’ai déposé se dilue sous mes yeux. Cette façon de faire me plaît particulièrement car le fait d’utiliser l’eau pour « laver » sa page est vraiment plaisant et celle-ci se transforme en un fond de page coloré qui devient un support pour coller une image qui fait du bien (prévoir une pile de magazines dans un coin de la classe pour en faire une banque d’images accessible aux élèves).
Le déroulé:
Je vous propose ici plus en détails une activité d’écriture diluée pour la classe.
Public:
A partir du CE2.
Durée:
15 minutes.
Matériel:
- Une feuille type Canson par élève (A4 ou A(5)
- Des crayons aquarellables (l’idéal est de demander à chaque élève d’en avoir une pochette à la rentrée à la place des crayons de couleurs, ils sont plus agréables à utiliser car déposent plus de couleur et ils offrent de multiples possibilités)
- Des pinceaux et un pot contenant de l’eau (des pinceaux réservoirs seraient le top! On en trouve des pas chers dans les solderies)
- Un magazine par élève (type nature, animaux, décoration, voyage, etc)
- Une paire de ciseaux par élève
- Un tube de colle par élève.
Moment idéal :
- En début de journée: le déclencheur d’écriture sera « aujourd’hui je me sens… »
- En fin de journée: le déclencheur d’écriture sera « avant de rentrer je me sens… »
Déroulement:
Chaque élève a son matériel sur la table. L’enseignant lance l’activité en expliquant que pendant 5 minutes chacun va écrire sur sa page comment il se sent et qu’il devra le faire de façon illisible. Pour cela, l’enseignant fait une démonstration au tableau: sur un A3 il écrit quelques mots en gros en écriture illisible puis il dilue le tout avec un pinceau (ou bien il vidéoprojette la capsule d’Anne-Marie Jobin). Ensuite, il insiste sur le fait qu’on est libre d’écrire comme on veut, sans faire attention à l’orthographe, sans s’appliquer, sans avoir peur d’être lu puisque tout sera illisible. On peut donc écrire ce qu’on a sur le cœur, écrire des « gros mots », utiliser toute la page pour exprimer son ressenti. Puis, en fonction du moment l’enseignant écrit au tableau la phrase déclencheur.
Proposer aux élèves d’écrire avec la couleur qui leur convient le mieux en ce moment (ils peuvent fermer les yeux, prendre trois grandes inspirations puis laisser venir à eux une couleur).
C’est parti! Les laisser écrire sans s’arrêter pendant 5 minutes en rappelant régulièrement qu’ils doivent être illisibles à la fin. Pour ceux qui bloquent, l’enseignant peut suggérer de tenir le crayon de façon inhabituelle pour faciliter l’illisibilité.
Lorsque le temps est écoulé on passe à la dilution: à l’aide d’un pinceau la page d’écriture se transforme en un fond aquarellé (attention à ne pas mettre trop d’eau pour que le temps de séchage soit limité).
L’enseignant demande à chacun d’écrire un mot sur sa page pour dire comment il se sent après l’exercice. Puis il propose d’aller découper une image qui fait du bien dans un magazine et de venir la coller sur sa page pour clore le processus.
A la toute fin, il est intéressant de proposer un petit moment de partage en demandant à ceux qui le souhaitent de dire le mot qu’ils ont écrit après avoir dilué leur page, s’ils ont aimé ou pas cette activité et pour quelles raisons.